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    - Au temps pour moi -

    En naviguant deci delà, je récolte des impressions, des réflexions, des analyses, des coups de gueules aussi... ET C'EST TANT MIEUX !!!

    Et je m'interroge : pourquoi désormais tant de souffrance dans ce métier d'infirmière ? Pourquoi il y a 20 ou 30 ans le ressenti n'était pas le même? Je n'ai pas souvenir d'avoir entendu mes aînés, du temps de mes études, se plaindre de burn out (le mot existait-il seulement ?), d'épuisement, de souffrance. Du ras le bol ? Oui bien sûr, comme dans tous les  boulots mais pas ce marasme si prégnant, pas ce désespoir si hurlant.

    Les gens étaient-ils plus résignés avant ?

     En même temps je ne parle que de 30 ans en arrière, je ne remonte pas aux calandes grecques. A mon avis, les gens avaient au contraire plus de 'burnes" qu'aujourd'hui. Ils se mouillaient, allaient au front, faisaient grève, se soutenaient, revendiquaient , étaient clairement en opposition avec les patrons.

         Aujourd'hui, le contexte sociétal est morose et délétère. On nous abreuve de maladies, chômage, crise, malversations, pollution et autres fins du monde programmées. Les lendemains qui déchantent, les "c'était mieux avant" qui étaient jadis l'apanage des vieux aigris et se retrouvent désormais dans la bouche de jeunes adultes. Ceci témoigne d'un recul de l'épanouissement personnel...

    - Au temps pour moi - 

    Travailler plus pour gagner plus qu'il a dit "l'autre"...  

     

    Perso j'ai jamais autant bossé et gagné moins. Le chantage au travail est partout, et chacun ferme sa gueule s'il veut espérer avoir son "maigre" salaire en fin de mois.

          Pour en revenir au malaise des infirmières, il me semble que la tarification à l'acte (T2A) n'y est pas étrangère. En effet seuls les actes "techniques " de soins sont cotés (cotables !) et donc "rapportent de l'argent" à l'hôpital (ou la clinique). Qui doit lui même déployer des trésors de tours de passe passe pour s'en sortir (ils sont tous dans le rouge !).

    Pour résumer et simplifier à l'extrême ce que j'en ai compris:

    - un patient entre à l'hosto pour une péritonite, en service de chirurgie digestive.

    - Tous les actes qui seront pratiqués sur lui jusqu'à sa sortie seront facturés par l'hosto à la sécu. Selon un barème, pondéré par un temps de séjour et les maladies associées, un diagnostic d'entrée principal et un secondaire, un "groupe homogène de malade" dans lequel il sera inséré. ...

    - En fonction de l'activité réelle passée et prévisionnelle de ce service, un temps "ressources humaines" est calculé par les dirigeants/financiers (en même temps ça c'est un peu obligé hein?)...

    Ce qui suit peut être zappé.... Je me parle à moi-même

    - Donc par exemple: chaque patient reste 10 jours en moyenne, il y a 20 lits, donc environ 60 patients /mois à tant d'euros facturés à la sécu. Pour chaque patient on considère les actes à effectuer, y compris la toilette les 3 premiers jours. Et en fonction de cette activité, le besoin en personnel  soignant (infirmier et aides soignants) est évalué. Par exemple, par jour: 10 toilettes, 10 perfusions, 10 pansements dont 5 complexes et 5 moins importants, 10 injections d'HBPM, .... 

    -  1 IDE et 2 AS le matin, 1IDE et 1 AS l’après-midi... Comptes à peu près équilibrés et budget bouclé ! Le chef de pôle est heureux, le directeur général aussi, d'ailleurs ils en débriefent avec le président de la CME, lors de la réception de l'ambassadeur (oui vous savez le mari de la ministre de la santé, faut suivre un peu !!).

    Bon vous pouvez revenir !!!!

    SAUF QUE ...... un grain de sable vient enrayer toute cette belle machine parfaitement huilée... et ce grain de sable c'est :

    Cette satanée infirmière et son satané temps soignant !

     Des études très sérieuses démontrent que "les différences entre travail prescrit et travail réel sont particulièrement génératrices de souffrance au travail parmi les soignants" *

    Donc le fait d'être reconnu uniquement sur ce qui est facturable, ampute d'une très grande partie l'essence même de notre travail. Et du coup nous nous retrouvons en perpétuel conflit décisionnel : Should I stay or Should I go ?

    Dois-je exercer mon rôle propre de soignant avec toute sa dimension humaine ou être le robot programmé et estampillé "T2A" qui va produire du soin et permettre à l'hosto de substantielles économies?

    Au détriment de la qualité et sécurité de soins et du bien être au travail ?....

    Sauf que ces économies là s'apparentent, à mon humble avis, à de la "cavalerie": présumer d'une capacité minimale suffisante en personnel pour entrer dans des clous de budget.... et lui faire "suer le burnous" jusqu'à épuisement, arrêt maladie, démission.... avec bien sûr des risques d'erreurs sur les patients, une sorte de dommage collatéral ...

    Alors est-ce vraiment là le bon calcul ???

    Mais bien sûr je ne suis qu'une toute petite infirmière, même pas énarque, même pas technocrate, même pas ministre.... juste un peu rebelle peut-être et dégoûtée de ce que je vois.

    Tant de temps soi-niant, soi-niant-nié, de temps en temps, rendez moi du temps, du temps pour moi, au temps pour moi...

    Chronos était le dieu du temps, son épouse Ananké, la déesse de la fatalité et de la nécessité et selon la cosmogonie orphique, ils seraient les géniteurs de Chaos et Ether
    (l'éther dont j'ai parlé dans un précédent billet ).

    Curieuses ces coïncidences tout de même.... Mais en sont-ce ?

    Chronossement vôtre

    Clématite.

      * : Isolement, parcellisation du travail et qualité des soins en gériatrie - Madeleine Estryn-Behar - avril 2011.

     

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