• C'est l'histoire d'une rencontre improbable et éphémère, à l'arrêt de bus, sous une pluie fine et pénétrante.

    Un grand échalas, que je qualifierai de soixantenaire, dépenaillé et barbu, une estafilade sur la joue gauche témoignant d'une probable récente rixe, traînait en ce mercredi matin son désespoir, sa misère et sa colère, au milieu des usagers blasés de la RTM (ceux qui attendent le bus, quoi).

    Ses invectives sur la drogue, l'alcool et l'ordinateur lui conféraient l'apparence d 'un vague prédicateur apocalyptique, qui scandait, le doigt tendu, que "Jésus n'existait pas " et que "cette ville est pourrie, abandonnée aux mains du Diable". Sur ce, il accoste une jeune fille en parfaite communion avec son smartphone et lui demande rudement si "[elle] aussi, tu as ton ordinateur scotché au c..?" La pauvrette l'a regardé, de l'air d'une biche apeurée, ne comprenant pas qui était ce père Noël famélique qui la rudoyait de si bon matin. 

    Continuant ses tonitruantes déclamations pseudo-biblico- antipolitico-racistes... il s'approche de moi, bien évidemment, paratonnerre à "maldansleurpeau" que je suis.

    "Les gens sont tous cons"... ben oui, je peux pas beaucoup lui donner tort, mais mes vagues et ancestraux cours sur l'approche du malade mental me recommandent de ne pas répondre, ni fuir. Je dodeline donc de la tête, dans une subtile approbation bienveillante.

    "Et la police, et les truands et la drogue, Marseille est pourrie!..." La boite de Pandore est ouverte, il s'épanche, et au-delà du burlesque de la situation, je ne peux m'empêcher de ressentir beaucoup de finesse et d'intelligence chez lui.

    Il me raconte qu'il était DJ, qu'il ne fumait ni ne buvait, ni ne se droguait. bien que dans son milieu il en eut l'occasion. Il aimait la vie.

    Et puis in jour, sa fiancée l'a quitté et il ne s'en est jamais remis, il a commencé à plonger et me dit que "de s'en sortir c'est trop dur!".... Tout ceci sans un accroc, sans une faute de langage, sans bafouille. Il allume sa clope, et me demande quand arrive le bus? Je lui répond "dans une minute!" et du tac au tac il réplique: "as-tu une minute, ou serais tu prête à tuer pour une minute? En une minute tout peut basculer..Les gens sont si pressés de nos jours...". Il me confie ne pas avoir fait sa "piqûre de psychiatrie".

    Puis il embraye sur les signes du zodiaque, il me donne le sien, me demande le mien: " Le même que [sa] mère! Fichtre. Et là, bien sûr il me demande mon métier, je lui répond du bout des lèvres: "infirmière". Il me sourit, d'un vrai sourire franc et sincère, je fais bien partie de "son monde".

    Sur ce, le bus arrive et je reprends pied dans cette vie grise, comme le temps. Il passe devant moi et s'assied, moi je file au fond du bus; Il oubliera certainement ces 3 minutes à discuter avec une infirmière, en attendant le bus, dans ce pluvieux matin d'hiver à Marseille.

    Mais moi, non, car il m'a émue, ce DJ du désespoir.

    Ephémèrement vôtre

    Clématite

     

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