- Et si l'aidant ...-

... n'était pas celui qu'on pense ????

Dans les rêves, lorsque les dents tombent c'est signe d'une nouvelle de mort.

Dans la vraie vie, on pourrait croire que c'est pareil, (à quelque différences orthographiques près) : Lorsque l'aidant "rompt", la chute de l'aidé n'est pas très loin.

 Mais en est-il réellement ainsi ? 

Pour faire suite à mon précédent article sur "l'aidant de l'amer", ce rôle d'aidant est hautement fondamental, casse-gueule et peut être un tantinet catharsistique pour certains.

Il me revient quelques cas,  vécus durant ma longue carrière d'IDEL.

1) C'est Serge et Ester, jeune couple juif trentenaire, stoppé en pleine ascension progénituriale par une sclérose en plaque de Monsieur. Évolutive , bien sûr, car il est jeune. Ester fait ce qu'elle peut.... Elle est enseignante et consacre chaque milliseconde de son temps à l'être aimé. A son confort, à l'assouvissement de ses désirs exprimés ou non. Je suis toute jeune infirmière et me retrouve le témoin bien involontaire de ce drame familial, au sein d'une (ex-future) famille qui se devait de croître, selon leurs préceptes religieux. Elle est toute dévouée, il est tout tyrannique ! Ester a mis dans un coffre fort sa vie de "femme" pour se consacrer au confort de son homme qui le lui rend comme il peut, et souvent d'ailleurs de façon très peu charitable. J'assiste, impuissante, à des crises de larmes, des justifications (pour 10 mn de retard car elle faisait les courses), des humiliations non justifiées sur une femme qui essaie malgré tout de garder la tête haute face à la frustration intense de sa vie. IL n'a pas choisi d'être malade, certes, mais ELLE non plus. Par contre ELLE a choisi de rester à ses cotés. J'ai du arrêter de m'occuper de lui, car elle est partie en dépression nerveuse, tellement désolée de ne pouvoir compenser le handicap de son mari/tyran. Et lui chez sa mère... Plus de nouvelles par la suite...

2) C'est Marc et Philippe, 2 frères, dont le cadet (Marc) est resté paraplégique suite à un accident de moto à l'âge de 18 ans, Philippe était dans la bande de jeunes "fous" ce jour là. Ils sont désormais adultes (mon âge) et Philippe a décidé (?) de consacrer le reste de sa vie à s'occuper de Marc. Ils vivent dans une petite maison, se sont même pacsés, dans une ambiance faussement empreinte de "zénitude", car Marc , dans une stratégie d'adaptation salutaire, a décidé de s’imprégner des doctrines de Lao Tseu.

Philippe devient donc le chauffeur, le domestique, le récipiendaire des angoisses, le valet de chambre, l'ouvre-porte, le cuisinier, ...l'intendant.. Bref , il VIT à travers Marc. Vague sentiment de culpabilité du survivant? Inespéré chemin de vie d'une personne par ailleurs si effacée que je ne le voyais même pas, lové en parfait caméléon dans son fauteuil au fond de la pièce? Marc affichait un tout relatif détachement des choses de ce monde,  mais les principes bouddhistes ne fonctionnaient visiblement que pour l’extérieur. Le pauvre frère n'avait pas droit au chapitre, courbant inlassablement l'échine pour ne pas déplaire... mais sombrant dans les abysses de l'angoisse dès que  Marc semblait ne pas aller "bien".

3) C'est Antoine,  qui vit avec Maman depuis ... toujours . il faut dire qu'elle a déjà 90 ans et ne peut plus s'occuper tout seule d'elle-même. Lui, de son côté, n'a jamais rencontré l'âme sœur et a préféré rester au côté de maman lorsqu'elle a perdu son mari. L'appartement et petit. Il y a bien 2 chambres, mais Antoine a peur que "maman" ne tombe la nuit.  Par sécurité il préfère quand même dormir avec elle.... Bien évidemment elle ne veut ni manger ni boire quand il est là, et refuse systématiquement tout ce qu'il peut lui proposer . Avec l'infirmière, ça se passe beaucoup mieux . Le pauvre Antoine se tord les mains en se demandant pourquoi maman ne l’écoute jamais , alors qu'il fait "tout ce qu'il peut pour elle". La mort de maman,  il ne s'en remettra jamais,  transformant son petit appartement en mausolée, garni des photos de sa très chère disparue, inconsolable...

4) C'est Violette et Raymond, dans les 80/90 ans. Ils se sont rencontrés à la maison de retraite, et depuis quelques années ils sont inséparables... Bon Violette est largement plus âgée et moins "réactive" que Raymond. Il la couve, la dorlote, exauce le moindre de ses caprices (qu'elle n'a même plus, car un peu "ailleurs"). Quand je passe le soir pour distribuer les cachets, elle trône en baronne, sur le fauteuil de sa chambre à lui, le reléguant sur la chaise inconfortable.... Elle ne parle pas, ne mange quasi pas, demande à tout bout de champ : "et pourquoi on me fait la piqûre?" (elle est diabétique). Lui s'instaure en contrôleur absolu de son intégrité physique et morale. En termes plus crûs: il nous surveille et va cafter à ses filles (qui brillent par leur absence!) au moindre pet de travers.

Cependant Raymond est malade, gravement, du cœur. Son récent séjour hospitalier nous a fait craindre une décompensation majeure de Madame la Baronne....Que nenni!!! La gueuse s'est "réveillée", parlant, trottinant , ne demandant même pas de ses nouvelles....La renaissance.

Il revient et la revoilà en mode "légume" , n'oubliant néanmoins pas de le culpabiliser lorsque nous venons la coucher le soir (on le ménage, il a du mal à marcher, et ils ne sont pas dans la même chambre) : "et pourquoi je dois partir?".... ARGHHHHH!!!!!! Le voila se tordant les mains, se culpabilisant de ne pouvoir lui -même l'accompagner au lit. Et elle? Ben au final elle s'en fout je crois....

6) Lucienne et Jojo, ha quel couple!!!! Il est lui aussi dans ses "limbes" mais elle veille, jour et nuit (si, si, elle met son réveil et se lève à minuit, 3h et 6h pour lui changer sa couche). Elle le met au toilettes, lui essuie amoureusement le bout de la zézette après pipi, et le trouduc après caca. Un jour je rentre et la trouve courbée face à lui, debout devant les toilettes.... M'enfin quoi, pas de pensées bizarres!!! Elle lui essuyait la "goutte".

Après une douche à Jo sous les consignes éclairées et soûlantes de Lulu, et juste avant que je ne l'assoie au fauteuil (le meilleur de la pièce, bien sûr!), elle s'y met quelques minutes pour le "chauffer"... Si, si...Je vous assure! Jojo est d'un ennui redoutable, toujours à se plaindre et geindre de tout. Elle, a déjà surmonté 2 cancers et va visiter leur sœur grabataire dans une maison de retraite une fois par semaine. Ils n'ont pas eu d'enfants. Elle passe la quasi totalité des mots de sa vie à parler de Jojo, en bien ou en mal, pour l'encenser ou s'en plaindre. En Bref elle parle de LUI ! Il faut dire qu'ils vivent ensemble depuis genre 85 ans.... Comment est-ce possible? Ha ! je vous ai pas dit ?

Ils sont frère et sœur! Si, si....

5) Je passerai rapidement sur François (85 ans) , qui a soigné sa femme Ginette 5 ans durant suite à un AVC peut charitable. Qui m'a avoué avoir eu une vie "pourrie" et pas heureuse avec elle (très peu chaleureuse la dame) mais qui, conscient de son devoir, l'a accompagnée jusqu'au bout. Et qui se retrouve, quelques mois après sa disparition, dans un désespoir sans nom....Un no mans land abominable.

Tuteur de résilience

C'est le mot qui me vient à l'esprit. Peut être n'est-on pas "aidant" par hasard. Peut être que le patient aide à surmonter une pseudo culpabilité originelle ou autre.... Je suis pas psy, juste IDEL. Mais dans ma carrière j'ai rencontré beaucoup d'aidants qui eux même étaient addicts à ce sacerdoce, tout en s'en plaignant....

Pour les relations amoureuses, je crois que ça marche aussi.....

Alors, qui est vraiment l'aidant ???

Résiliemment vôtre.

Clématite